Un mal pour un bien

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Article d'opinion par Aïda Cherif : Fermez les yeux et imaginez pendant un seul instant comment allait devenir la Tunisie si la Nahdha avait pris le pouvoir dans une gouvernance stable pour 5 ou 10 ans ??


Personnellement, je ne voudrais même pas l’imaginer, car, cela serait un réel cauchemar. En effet,  la Tunisie est une terre bénie, la situation aurait pu dégénérer encore plus, aurait pu être pire et aurait pu devenir irrécupérable pour bien longtemps mais quand ceux qui avaient appelé à une Assemblée Nationale Constituante pour rédiger une nouvelle constitution et que cela a nécessité l’organisation d’élections, personne n’avait soupçonné que la Nahdha pouvait remporter relativement ce scrutin, et tout le monde s’est dit qu’avec du nouveau on saura reconstruire une Tunisie qu’on aime .


La grande majorité de la classe politique tunisienne est novice en la matière, naïve et crédule quand elle n’est pas motivée par son amour du pouvoir, ce qui a favorisé la Nahdha pour accéder au pouvoir.


Un pouvoir d’ailleurs qui lui a coûté assez cher en si peu de temps. Imaginez un peu ces apprentis, propulsés ainsi dans ce labyrinthe de l’Etat Tunisien bien verrouillé et, où, tout est à revoir, réformer et reprendre à zéro parfois. Dans un jargon simpliste, on appelle cela,  « foncer la tête devant ou la tête baissée» s’aventurer dans une jungle les yeux bandés. Ils n’ont pas su s’armer de bon sens au bon moment, quand ils ont vu les résultats des urnes, ils se sont laissés aller à la jubilation sans mesurer le danger auquel ils exposaient  leur mouvement historique qui a passé 30 ans de sa vie à lutter pour justement avoir cette opportunité de diriger la Tunisie.


A mon sens et avec beaucoup de recul et de clairvoyance,  les plus malheureux et malchanceux du scrutin du 23/10/2011 étaient les islamistes, oui, ils ont remporté des élections, mais ils ont perdu 30 ans de parcours fait de luttes, de sacrifices et de souffrances, ils ont perdu  la compassion de tout un peuple qui les a toujours défendus sous la dictature, le plus gros de leur malheur c’est qu’ils ont perdu ou salit une réputation qu’ils ont construit tout au long de ces 30 dernières années.
 

Les experts du monde entier sont aujourd’hui d’accord pour dire que, pour neutraliser des ennemis politiques, les anéantir et les écarter du champs politique, il n’y a pas mieux que de les propulser au pouvoir en temps de crise et d’instabilité, la recette est radicale, l’expérience Tunisienne le démontre chaque jour depuis le 23/10/2011. Pour le peuple Tunisien modéré, bon vivant, désintéressé par la question politique depuis la nuit des temps, ceci ne peut être qu’un mal pour un bien, effectivement, les islamistes au pouvoir ont basculé la donne, ont crée une nouvelle société tunisienne qui n’a pas cessé de bouger, de bouillir et de se livrer à des batailles au quotidien,  a crée aussi une classe politique qui se fait et se défait, bouge, apprend sur le tas et agit en fonction d’une société civile qui s’est prise en main rapidement pour façonner ou modeler les bases de la démocratie souhaitée par les Tunisiens.


Cette expérience que je qualifie d’exceptionnelle, a mis à nu une Tunisie diverse et diversifiée, une Tunisie divisée en plusieurs, une Tunisie que la majorité des Tunisiens ne connaissent pas ou n’ont jamais pu ou voulu voir. Une Tunisie que certains n’aiment pas sous ce visage qu’ils qualifient de terne et morose et que d’autres trouvent belle effervescente et « the place to be » depuis deux ans. Cette expérience de deux ans a démontré que, quand il y a volonté suivie de luttes et de combats, des batailles peuvent être gagnées même  face aux islamistes.


Effectivement,  l’opposition au sein de l’Assemblée Nationale Constituante comme en dehors de cette Assemblée,  n’a ménagé aucun effort pour bousculer, barrer la route, empêcher, retarder et pousser les islamistes à collectionner les bourdes et boulettes  depuis deux ans et les faire plier. Imaginez un seul instant si l’opposition s’est contentée de jouer  aux minoritaires sans voix  se faisant à chaque fois laminer par une majorité hégémonique qui ne lâche rien ???? Je pense qu’on ne serait pas là au jour d’aujourd’hui et que la situation aurait été tout autre et bien plus triste, bien plus morose mais surtout une situation irrécupérable où la violence, le chaos, l’anarchie et la pauvreté auraient gagné tout le terrain et fermé la porte à tout espoir de vie digne dans un Etat de droit, de libertés et de justice sociale .


Cessons de tirer sur tous ceux qui font des choses et qui font bouger les choses malgré toutes les difficultés, aidons les si nous trouvons qu’ils ne font pas assez mais ne tirons pas sur eux, notre ennemi c’est celui qui nous fait de la résistance en voulant façonner et modeler notre Tunisie selon son projet étrange et étranger, notre ennemi c’est celui qui nous terrorise et tue nos enfants ,notre ennemi est connu et bien défini alors occupons nous de l’ennemi et cessons de nous tirer dessus.


Nous avons tous intérêt à réfléchir autrement, avec plus de maturité, de profondeur et de pragmatisme. La situation est catastrophique certes, mais la Tunisie est à nous, entre nos mains et à nous de la reprendre, la soigner et  la construire à nouveau,  ne tirons pas sur les partis politiques de l’opposition, ils représentent le socle de notre démocratie naissante à côté de la société civile et le parc associatif  qui s’est multiplié et s’est distingué  par le soutien qu’il a apporté aux actions menées par cette opposition depuis 2ans. Acceptons une bonne fois pour toute, que les politiques et les associatifs ne peuvent exister les uns sans les autres et que le grand chantier qu’est aujourd’hui la Tunisie a besoin de tout le monde.


Un mal pour un bien, oui,  nous avons eu les islamistes au pouvoir dés le départ afin de nous sensibiliser sur le danger d’une dictature religieuse, nous avons démasqué ces éternelles victimes qui ont gagné la confiance des plus crédules et  des plus vulnérables de nos concitoyens,  et qui ont pu convaincre les plus avertis d’une bonne foi inexistante, ne nous arrêtons pas en si bon chemin et  construisons cette Tunisie qu’on aime, colorée,  bouillante, en chantier et effervescente avec sa jeunesse qui se réveille et ses femmes qui bataillent dans les rues depuis 2ans pour laisser à leurs enfants une Tunisie meilleure où il fera bon vivre pour tous.



Aida Akari Cherif

 

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